Les conditions de notification des actes judiciaires au sein de l’Union européenne en cas de défendeur non-comparant

27 Juin 2019 | Divers

Intenter un procès à l’encontre d’une personne domiciliée dans un autre Etat membre de l’Union européenne implique de respecter toute une série de dispositions européennes et nationales relatives à la notification internationale des actes judiciaires.

La Cour de cassation, dans un arrêt du 11 avril 2019, précise les conditions requises de notification internationale d’un acte introductif d’instance dans l’hypothèse de non comparution du défendeur devant la juridiction française saisie.

Pour intenter un procès devant les juridictions françaises contre une personne domiciliée à l’étranger, il convient de respecter des règles procédurales spécifiques relatives à la transmission internationale des actes judiciaires. Ces règles visent à faciliter la notification de documents entre les parties à travers les frontières et la coordination des autorités étatiques à cet effet.

L’un des objectifs principaux de ces différentes règles est d’assurer, malgré les contraintes internationales, qu’une personne attraite devant une juridiction étrangère puisse être dûment informée de l’action diligentée à son encontre et qu’il lui soit accordé un délai raisonnable pour préparer sa défense.

Le respect de ces dispositions est particulièrement important pour l’acte introductif d’instance. C’est par cet acte en effet que la personne est informée de l’existence même d’une action intentée à son encontre.

Cependant, l’éloignement géographique des parties implique souvent un risque important de non-comparution au procès. Or que faire si le défendeur ne comparaît pas ? Comment s’assurer que celui-ci a bien été informé de l’instance ? Le procès peut-il se poursuivre malgré son absence ?

Dispositions applicables

Lorsque la personne est domiciliée dans un autre Etat membre de l’Union européenne, le règlement européen (CE) n°1393/2007 du Parlement et du Conseil du 13 novembre 2007, relatif à la signification et à la notification dans les Etats membres des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale a vocation à s’appliquer.

Ce texte organise la diffusion des actes entre les autorités du pays d’envoi (désignées « entités d’origine ») et les autorités du pays de réception (désignées « entités requises »).

En France, les entités d’origine sont les greffes de juridiction et les huissiers de justice, tandis que les entités de réception sont uniquement les huissiers de justice. En Espagne, les entités d’origine sont également les huissiers de justice, tandis que les entités de réception sont les juridictions appelées « Juzgado decano » (la liste complète des entités d’origine et des entités requises de chaque Etat membre peut être consultée sur le portail e-justice européen).

L’article 19 du règlement (CE) n°1393/2007 envisage spécifiquement l’hypothèse du défendeur non comparant. Il prévoit :

« Lorsqu’un acte introductif d’instance ou un acte équivalent a dû être transmis dans un autre Etat membre aux fins de signification ou de notification, selon les dispositions du présent règlement, et que le défendeur ne comparaît pas, le juge est tenu de surseoir à statuer aussi longtemps qu’il n’est pas établi : 

a) Ou bien que l’acte a été signifié ou notifié selon un mode prescrit par la loi de l’Etat membre requis pour la signification ou la notification des actes dressés dans ce pays et qui sont destinés aux personnes se trouvant sur son territoire ;

b) Ou bien que l’acte a été effectivement remis au défendeur ou à sa résidence selon un autre mode prévu par le présent règlement [les autres modes de notification prévus par le règlement sont la transmission par voie consulaire ou diplomatique, par l’intermédiaire des services postaux ou par notification directe par l’entité d’origine]

et que, dans chacune de ces éventualités, soit la signification ou la notification, soit la remise a eu lieu en temps utile pour que le défendeur ait pu se défendre. »

L’article 688 du Code de procédure civile, relatif à la notification des actes à l’étranger, précise également que :

« S’il n’est pas établi que le destinataire d’un acte en a eu connaissance en temps utile, le juge saisi de l’affaire ne peut statuer au fond que si les conditions ci-après sont réunies : 

1° L’acte a été transmis selon les modes prévus par les règlements communautaires ou les traités internationaux applicables, ou à défaut de ceux-ci, selon les prescriptions des articles 684 à 687 ; 

2° Un délai d’au moins six mois s’est écoulé depuis l’envoi de l’acte ; 

3° Aucun justificatif de remise de l’acte n’a pu être obtenu nonobstant les démarches effectuées auprès des autorités compétentes de l’Etat où l’acte doit être remis ». 

L’article 479 du Code de procédure civile prévoit enfin que « le jugement par défaut ou le jugement réputé contradictoire rendu contre une partie demeurant à l’étranger doit constater expressément les diligences faites en vue de donner connaissance de l’acte introductif d’instance au défendeur ». 

Ainsi, d’après les dispositions précitées, le défendeur non comparant dispose de certaines garanties procédurales. Pour que le procès puisse se poursuivre en son absence, il est nécessaire de prouver, en l’absence de justificatif de remise, qu’il a été effectivement procédé à la notification ou signification de l’acte selon les modalités prévues par le règlement (CE) n°1393/2007 et selon les règles du pays de réception. Le tout doit bien entendu avoir été réalisé dans un délai suffisant.

En l’absence de ces éléments, le procès ne peut être poursuivi en l’état et la juridiction saisie du litige doit surseoir à statuer.

La décision rendue par la Cour de cassation

Dans un arrêt du 11 avril 20191la Cour de cassation propose une application combinée des dispositions du règlement (CE) n°1393/2007 et du Code de procédure civile. Elle clarifie ainsi les modalités de notification d’un acte introductif d’instance dans l’Union européenne à respecter en cas de non-comparution du défendeur.

Une société avait assigné en France une autre société en résolution de contrats de vente. Une troisième société était appelée en garantie, et l’assureur de la société défenderesse intervenait volontairement à l’instance. Un jugement avait initialement déclaré la société demanderesse irrecevable en ses demandes. Ce jugement, infirmé en appel, avait finalement été confirmé par la Cour de cassation, celle-ci renvoyant l’affaire devant une autre cour d’appel.

La société demanderesse avait alors saisit la cour d’appel de renvoi par déclaration au greffe, conformément à l’article 1032 du Code de procédure civile qui prévoit que « La juridiction de renvoi est saisie par déclaration au greffe de cette juridiction. ».

A ce stade de la procédure, la troisième société initialement appelée en garantie avait été remplacée par une société italienne. Il était donc nécessaire de faire notifier à cette société en Italie la déclaration de saisine, document faisant office d’acte introductif d’instance devant la cour d’appel de renvoi.

La cour d’appel, après avoir précisé que la déclaration de saisine avait été remise à la société italienne par l’assureur de la société défenderesse, condamnait la société italienne qui n’avait pas comparu ni constitué avocat.

Un pourvoi en cassation était formé contre cette décision pour contester les modalités de notification internationale de la déclaration de saisine à la société italienne.

La société italienne pouvait-elle être condamnée malgré son absence de comparution ?

Afin de répondre à cette question, la Cour de cassation explique :

« Vu les articles 7 et 19 du règlement (CE) n° 1393/2007 du Parlement européen et du Conseil du 13 novembre 2007 relatif à la signification et à la notification dans les États membres des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale, ensemble les articles 479 et 688 du code de procédure civile;

Attendu que selon le premier de ces textes, en cas de transmission d’un acte depuis un État membre en vue de sa notification à une personne résidant dans un autre État membre de l’Union européenne, l’entité requise de cet État procède ou fait procéder à cette notification ; qu’il résulte de la combinaison des deuxième et quatrième de ces textes que lorsque la transmission porte sur un acte introductif d’instance ou un acte équivalent et que le défendeur ne comparaît pas, le juge judiciaire français ne peut statuer qu’après s’être assuré soit que l’acte a été notifié selon un mode prescrit par la loi de l’État membre requis, soit que l’acte a été transmis selon un des modes prévus par le règlement, qu’un délai d’au moins six mois s’est écoulé depuis la date d’envoi de l’acte et qu’aucune attestation n’a pu être obtenue nonobstant toutes les démarches effectuées auprès des autorités ou entités compétentes de l’État membre ; qu’en application du troisième de ces textes le jugement doit constater expressément les diligences faites en vue de donner connaissance de l’acte au défendeur. »

La Cour fait ainsi une application combinée des dispositions du règlement (CE) n°1393/2007 et du Code de procédure civile afin de déterminer les conditions de notification ou signification internationale requises dans l’hypothèse d’un défendeur non comparant situé dans un autre Etat membre de l’Union européenne.

Poursuivant son raisonnement, elle casse l’arrêt de la Cour d’appel, considérant que le respect des conditions de notification internationale à la société italienne n’était pas avéré.

Elle relève en effet que la Cour d’appel aurait dû s’assurer que la notification de la déclaration de saisine à la société italienne avait été attestée par les autorités italiennes ou à défaut préciser les modalités de transmission de l’acte et les diligences accomplies auprès des autorités italiennes pour obtenir cette attestation.

La Cour de Cassation propose ainsi une solution qui concilie, dans une telle hypothèse, les intérêts du requérant et ceux du défendeur. En effet, le requérant ayant effectué toutes les diligences nécessaires à la notification d’un acte au défendeur pourra voir sa cause entendue et jugée par la juridiction saisie malgré la non-comparution du défendeur. En parallèle, des exigences procédurales minimales de notification internationale permettent d’assurer que tout a été mis en œuvre pour assurer l’information du défendeur en temps utile.

Conclusions pratiques

Pour assurer la poursuite d’un procès devant les juridictions françaises en cas de défendeur non comparant situé dans un autre Etat membre de l’Union européenne, il convient donc de veiller au respect des conditions suivantes :

  • L’acte introductif d’instance a été notifié soit selon un mode prescrit par la loi de l’Etat membre de réception, soit selon un autre mode prévu par le règlement (CE) n°1393/2007
  • Un délai d’au moins six mois s’est écoulé depuis l’envoi de l’acte introductif d’instance
  • Aucune attestation de remise n’a pu être obtenue malgré les démarches effectuées auprès des entités compétentes

Le juge saisit doit enfin constater expressément les diligences réalisées en vue d’informer le défendeur.

En toute hypothèse, le requérant souhaitant initier une action à l’encontre d’un défendeur à l’étranger devra donc prévoir des délais suffisants entre l’envoi de l’acte introductif d’instance et la convocation devant la juridiction saisie, délais nécessairement plus longs qu’une procédure interne, permettant l’information du défendeur ainsi que lui allouant un temps utile pour préparer sa défense.

Il sera sur ce point rappelé que l’article 643 du Code de procédure civile augmente de deux mois supplémentaires les délais de comparution pour les personnes qui demeurent à l’étranger.

A partir du moment où ces conditions sont respectées, le défendeur peut alors se voir condamné par les juridictions françaises malgré son absence au procès.

Une telle possibilité n’est pas négligeable dans la mesure où les conditions de reconnaissance et d’exécution des décisions de justice au sein de l’Union européenne en matière civile et commerciale sont grandement facilitées aujourd’hui grâce au règlement (UE) n°1215/2012 du Parlement européen et du Conseil concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (dit Bruxelles I bis).

Une décision rendue par une juridiction française à l’encontre d’un défendeur résidant dans un autre Etat membre de l’Union européenne pourra donc parfaitement être exécutée directement dans l’Etat du défendeur, et ce même si celui-ci n’a pas comparu à l’instance en France.

Recommandations complémentaires

Plusieurs éléments additionnels sont à prendre en compte lorsque la notification ou signification d’un acte judiciaire dans un autre Etat membre de l’Union européenne est envisagée.

Tout d’abord, une traduction de l’acte peut être requise. En effet, l’article 5 du règlement (CE) n°1393/2007 prévoit que :

« Le requérant est avisé par l’entité d’origine à laquelle il remet l’acte aux fins de transmission que le destinataire peut refuser de l’accepter s’il n’est pas établi dans l’une des langues indiquées à l’article 8. »

L’article 8 du même règlement précise :

« L’entité requise informe le destinataire, au moyen du formulaire type figurant à l’annexe II, qu’il peut refuser de recevoir l’acte à signifier ou à notifier, au moment de la signification ou de la notification ou en retournant l’acte à l’entité requise dans un délai d’une semaine, si celui-ci n’est pas rédigé ou accompagné d’une traduction dans l’une des langues suivantes : 

a) Une langue comprise du destinataire ou 

b) La langue officielle de l’Etat membre requis ou, s’il existe plusieurs langues officielles dans cet Etat membre, la langue officielle ou l’une des langues officielles du lieu où il doit être procédé à la signification ou à la notification.

Une traduction des actes transmis dans la langue de destination est donc nécessaire, à moins que le destinataire ne comprenne le français.

Enfin, un récent décret du 3 mai 2019 a créé un nouvel article 687-2 dans le Code de procédure civile, relatif à la notification des actes à l’étranger et qui prévoit :

« La date de notification d’un acte judiciaire ou extrajudiciaire à l’étranger est, sans préjudice des dispositions de l’article 687-1, à l’égard de celui à qui elle est faite, la date à laquelle l’acte lui est remis ou valablement notifié.

Lorsque l’acte n’a pu être remis ou notifié à son destinataire, la notification est réputée avoir été effectuée à la date à laquelle l’autorité étrangère compétente ou le représentant consulaire ou diplomatique français a tenté de remettre ou notifier l’acte, ou lorsque cette date n’est pas connue, celle à laquelle l’une de ces autorités a avisé l’autorité française requérante de l’impossibilité de notifier l’acte. 

Lorsqu’aucune attestation décrivant l’exécution de la demande n’a pu être obtenue des autorités étrangères compétentes, nonobstant les démarches effectuées auprès de celles-ci, la notification est réputée avoir été effectuée à la date à laquelle l’acte leur a été envoyé ».

Il convient en conséquence d’être vigilant sur la computation des délais qui peut varier selon les circonstances de la notification à l’étranger.

 

Pauline Kubat – avocate au Barreau de Lyon
Cet article a pour objet d’apporter une information générale sur le sujet abordé. Pour votre problématique spécifique, un conseil spécialisé est recommandé.

(Article initialement publié sur soulier-avocats.com)

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